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Pour celles et ceux qui préfèrent lire…
Nous avons tous.tes des susceptibilités. Certaines remarques nous font réagir : elles nous blessent ou nous énervent. On les prend mal. Les prendre mal, ça voudrait dire qu’on devrait les prendre d’une autre façon ? Sans doute, car généralement, une réaction de susceptibilité est une réaction excessive.
La remarque vient toucher quelque chose qui n’est pas à sa place, une vieille blessure. Et quand on s’approche d’une blessure qui risque de faire encore mal, le réflexe pour se protéger, c’est le retrait, le figement ou l’attaque.
En étant attentif.ve à nos susceptibilités, à ce qui nous fait réagir de façon même légèrement excessive, nous pouvons déceler des parts de nous qui souffrent et aimeraient certainement s’apaiser…
Le départ d’une aventure intérieure
J’aimerais vous partager une anecdote qui vient de m’arriver… Et qui, quand on prête une attention fine et particulière à nos ressentis, devient le support d’une véritable aventure intérieure, et une occasion de guérison émotionnelle libératrice ! L’occasion aussi de vous offrir une vision de notre psyché selon l’IFS.
A la fin de la journée, mon homme me demande : « ça va , ça s’est bien passé avec tes patients ? »
Une part de moi rigole et a envie de lui répondre : « Oui ça va, on ne s’est pas tapé dessus ! ». Et je sens qu’une autre part en moi est agacée par cette question.
Pendant que je travaille devant mon ordinateur, il me demande : « ça va, tu travailles bien ? »
Et là, je sens que ça m’agace à nouveau. J’ai envie de lui répondre sèchement : « ben je sais pas, j’ai pas fini, et puis même quand j’aurai fini, comment savoir si j’ai bien travaillé ? »
Au final, je lui ai répondu que sa question m’agaçait et me mettait mal à l’aise, et je lui ai expliqué pourquoi tout en menant l’enquête à l’intérieur de moi. Enfin, le début de l’enquête…
Quand je tourne mon regard vers l’intérieur
La vérité, c’est que je n’ai pas envie de me poser la question de savoir si ça s’est « bien » passé, si je travaille « bien ». Je n’ai pas envie d’évaluer ce que je fais en terme de bien ou pas bien, ou moins bien ou même mal. Je n’ai pas envie de me noter selon ces critères.
Quand il me pose cette question, je sens que cela me demande de regarder mon travail, ou ce que je suis en train de faire, à partir d’un autre point de vue que celui dans lequel je me trouve. Et je sens quelque chose qui se chiffonne en moi, qui grimace, qui rechigne.
Je n’ai pas envie de savoir si j’ai bien travaillé. J’ai envie de sentir que j’ai eu du plaisir à être là où j’étais, à faire ce que j’ai fait.
Pose-moi la question : « ça va, tu te fais plaisir ? Tu t’amuses ? Tu kiffes ? »
Là, j’ai l’impression que je pourrais répondre sans me décentrer, depuis l’endroit où je suis dans mon être, depuis l’endroit où j’agis.
Mais si je suis vraiment honnête avec moi-même, je vois bien que ma réaction révèle une part de moi qui n’est pas en paix et qui répond excessivement au stimuli de l’évaluation…
Derrière la susceptibilité : un mécanisme de protection
Je connais la blessure qui se réveille quand on me demande si je fais bien ou pas. Bien sûr, je suis consciente de mon vécu.
J’ai trop longtemps eu besoin de bien faire. D’agir pour répondre aux attentes des autres. Pour avoir de bons résultats. Pour, au fond, recevoir l’attention et l’affection des adultes. Pour rester en lien avec ceux qui devaient prendre soin de moi. Un lien vital.
Oui, je connais bien cette blessure liée à l’évaluation, et je peux imaginer la part exilée qui lui correspond. En IFS, la part exilée est celle qui a vécu un traumatisme, souvent dans l’enfance, et qui n’a pas pu exprimé sa souffrance à l’époque. Parce que son cerveau et son système nerveux n’étaient pas assez matures pour cela. Un phénomène psychique et biologique tout à fait normal s’est alors installé : la part qui souffre a été mise à l’écart du système, et des parts protectrices ont mis en place des stratégies comportementales pour éviter de revivre cette souffrance.
Dans mon cas, cette part exilée est certainement une enfant qui s’est vue ridiculisée ou rejetée quand elle ne répondait pas aux attentes de ses parents.
Et la stratégie de la part protectrice qui s’est installée à l’époque, c’est : tu travailles bien, tu fais ce qu’on attend de toi, tu ES ce qu’on attend de toi. Tu es sérieuse, tu fais bien.
En IFS, on appelle ça une part manager. Son comportement protecteur passe presque inaperçu et s’intègre bien dans ma vie sociale.
Une bonne intention mais une stratégie qui a des limites
Travaille bien, sois sérieuse, fais ce qu’on attend de toi… Ah, c’était super comme stratégie aux yeux des adultes ! Ça a bien marché. Mes parents ont pu être fiers de moi. J’ai eu de bons résultats scolaires. Je rendais bien service à la maison. En échange, j’ai pu bénéficier de leur affection, de leur amour conditionnel (à condition que tu sois ce qu’on veut que tu sois).
(Attention : je n’en veux pas à mes parents, ils n’avaient tout simplement pas les capacités de faire autrement. Mais ça, c’est une autre histoire).
Oui, cette stratégie de protection a bien marché jusqu’à ce que moi, je me sente prisonnière à l’intérieur de moi-même. Jusqu’à ce qu’elle m’empêche de m’amuser, de me faire plaisir en dehors des critères attendus. Jusqu’à ce que je réalise que je n’étais pas moi-même et que je n’avais même aucune idée de ce que cela pouvait bien être, être moi-même !
Alors petit à petit, une autre part protectrice s’est installée. Une part qui veut faire du principe de plaisir un moteur, une boussole intérieure. Qui croit que si ça me fait vibrer positivement, c’est que c’est mon vrai moi qui s’exprime !
Ce quelque chose qui se chiffonne quand on lui demande d’évaluer en terme de bien/mal, c’est cette deuxième part protectrice. Elle agit quand la première part protectrice, celle qui dit qu’il faut bien faire, risque d’être remise en jeu. Et derrière elle, il y a la blessure liée à l’évaluation qui menace de se réveiller. Vous me suivez ?
Cette deuxième part choisit d’évaluer selon le critère de plaisir, selon si ce que je fais m’éclate, me fait vibrer, m’intéresse, me stimule. C’est une part protectrice plutôt positive ! Une vraie ressource même. C’est elle qui me permet de garder une boussole intérieure dont la référence est le plaisir et non de savoir si j’ai bien répondu à ce qu’on attendait de moi. C’est une autre part manager, très bien acceptée dans mon entourage et dans le monde du développement personnel 😉
Quand les protecteurs deviennent extrèmes
Ceci dit, il ne faudrait pas que cette deuxième part protectrice, qui veut être guidée par le plaisir, devienne extrême. C’est à dire qu’elle déclenche des comportements nuisibles à mon équilibre et à mon épanouissement. Car quand la blessure liée à cette part protectrice menace de se réveiller de façon trop intense, et d’amener de la souffrance dans mon système interne, quand on s’approche un peu trop de la part exilée, alors une autre part protectrice entre en action : la part pompier. Celle qui éteint le feu de la souffrance émotionnelle. Les comportements qu’elle entraîne sont généralement moins acceptables socialement : on les cache, on ne s’en vante pas. Et parfois, on ne voit même pas le lien entre ces comportements et ce qui les déclenche ! Nous n’en sommes pas conscients.
Cette part pompier pourrait amener à 3 types de réactions extrêmes :
Elle pourrait s’énerver vraiment quand on lui demande d’évaluer avec d’autres critères que les siens, se mettre en colère et devenir agressive (ça, ce serait possible dans mon cas : envoyer balader mon homme plus ou moins gentiment, alors que sa question vient d’une très gentille attention).
Elle pourrait vouloir rester uniquement dans le principe de plaisir, sans jamais avoir à faire avec le principe d’efficacité, de bien ou de mal faire… ça pourrait par exemple être une part qui amène à ne pas travailler, à procrastiner pour ne pas se confronter à l’évaluation, à toujours reporter la tâche au lendemain (ça a pu être mon cas pendant un certain temps, que j’espère révolu).
Cette part pourrait aussi amener à des comportements excessifs voire addictifs, pour anesthésier l’émotion désagréable à laquelle confronte l’évaluation. Crise de boulimie, alcool, cigarette et autres drogues, mais aussi temps passé devant les écrans, les jeux vidéos ou sur les réseaux sociaux, ou encore achats compulsifs et sport à outrance : toutes sortes de comportements qui amènent un plaisir superficiel et fugace, et qui anesthésie la souffrance.
Une réaction excessive est le signe d’un protecteur qui se déclenche
Alors, même si ce truc qui s’est chiffonné en moi n’a pas eu de conséquence nuisible pour moi ou pour la relation avec mon compagnon, je sens qu’une petite visite intérieure serait bienvenue.
Je sens que cette part de moi qui m’amène à être susceptible quand on me pose la question pourtant banale : « tu as bien travaillé ? » mérite que je lui accorde un temps et une attention particulière. Car je dois bien l’avouer, cette susceptibilité est déjà une réaction excessive, donc le signal qu’un protecteur agit et se défend.
Il est sans doute temps d’aller retrouver cette petite fille qui a eu si peur de perdre l’amour de ses parents quand elle ne faisait pas « bien » selon eux. Temps d’aller la décharger du fardeau de cette peur, de retrouver ses ressources et ses qualités premières : sa joie, sa créativité, sa spontanéité sans doute. Ainsi, les parts protectrices pourront elles aussi se détendre et passer à autre chose ! Tout mon système interne s’en trouverait plus détendu et je pourrais agir autrement que pour me défendre et me protéger d’une lointaine souffrance. Ce voyage de guérison est une autre histoire, que je vous partagerai sans doute !
La paix intérieure et la sensation d’être « qui je suis vraiment » vient de là, de cet espace où je peux être vulnérable, sans me sentir en danger, sans avoir besoin ni de me protéger, ni de me défendre.
Et ça aussi, c’est une autre histoire, que je vous raconterai bientôt, avec plaisir 😉 !